Localisation
Nagar (ou Nawar) est une cité située dans la vallée
du Djaghdjagh (ou Jaghjagh l’ancien Mygdonios), sur la rive droite de la
rivière. C’est un des principaux affluents du fleuve Khābūr (ou Habur, actuel Haut-Djézireh), dans l’extrême Nord de la Mésopotamie, à l’Est de l’Euphrate. La ville est
identifiée avec le site actuel de Tell Brak. Il comprend plusieurs tells, le principal occupant une surface de 43 hectares,
et s’élevant à plus de 40 mètres au-dessus de la plaine. L’ensemble du site s’étend sur 110 hectares, avec un périmètre de
600 mètres. C’est le plus important site archéologique dans le Nord de la Mésopotamie. Sa période d’occupation est très
longue, sur plus de 6000 ans.
Vue du quart Nord-est du site (Zone TW) |
L’histoire
Période préhistorique
Les spécialistes sont unanimes
pour penser que la période d’occupation du site débute dès la période de Samarra ou d’Hassuna, soit de 6500 à 6000 av.J.C.
Des vestiges de céramique de la période de Samarra y ont été retrouvés. Cependant, selon David et Joan Oates, la ville
ne prit de l’importance qu’à la période suivante, celle d’Halaf de 6000 à 5100, où une petite colonie se développa.
On retrouve dans les strates de cette période beaucoup plus d’artéfacts.
La poursuite du développement se fit sous la
période d’Obeïd (5000 à 3750), où de la céramique fut mise au jour, et la période
d’Ourouk
où l’on constate les premiers monuments. Les fouilles du site et de ses environs
révèlent une ville qui se développa à partir du début du IVe millénaire
simultanément avec (ou même un peu plus tôt) les villes connues du Sud de la Mésopotamie, comme
Ourouk.
À la fin de la
période d’Ourouk (Djemdet Nasr),
furent construits un bâtiment administratif avec des ateliers, des bâtiments publics parmi lesquels un grand temple,
de 25 m. x 30 m., au Sud du tell, nommé le "Temple aux yeux". Les chercheurs lui ont donné ce nom parce qu’il
fut découvert, incorporées dans le mortier avec lequel le temple fut construit, plus de 200 figurines en albâtre,
représentants des personnages avec une (ou deux) tête(s), dont les yeux occupaient presque toute la surface,
appelées "idoles aux yeux". On pense qu’il s’agit là d’offrandes car ont aussi été
mises au jour de nombreuses amulettes zoomorphes et une grande quantité de perles en faïence ou cristal de roche.
Le temple fut construit en briques crues autour de 3500-3300, ses murs extérieurs étaient décorés avec des cônes formant
une mosaïque et des rosettes en pierre.
Les murs intérieurs étaient semble t-il recouverts eux de panneaux de cuivre
et d’or, dans un style comparable aux temples contemporains du
Sumer. Au fond du temple, un autel décoré de pierres blanches et de lapis-lazuli fut dégagé. On a aussi excavé une maison,
datant de vers 3700, qui avait une longue cour étroite avec un four en forme de dôme. La découverte la plus spectaculaire
fut faite au cours de fouilles récentes où une série de fosses communes, datant d’environ 3800-3600, furent mises au jour,
ce qui fit suggérer aux chercheurs que le processus d’urbanisation fut accompagné par la guerre ou une épidémie.
Le site a aussi livré des sceaux pour cette période, attestant de l’existence d’une administration développée.
Figurine en albâtre "Idole aux yeux" –
Musée de Deir ez-Zor (Syrie) |
Période des dynasties archaïques
Lors de la période
des cités-États de la Basse-Mésopotamie, dite : Période des dynasties archaïques, notamment celles du pays du
Sumer, de vers 2900 jusqu’en 2334,
date de l’unification de la région par
Sargon d’Akkad (ou Sargon l’Ancien, 2334-2279), Nagar rivalisa avec les grandes métropoles.
Les dernières campagnes de fouille ont mis en évidence l’importance de l’occupation du site au cours de cette phase,
et elles nous permettent de mieux connaître celle-ci.
Lucio Milan prétend que la cité, vers 2400/2300,
abritait un élevage d’onagres (Ânes sauvages) qui étaient utilisés pour tirer des charrettes à roues avant l’introduction du
cheval. Il appuie sa théorie sur la mise au jour de nombreux ossements de ces animaux. Entre 2350 et 2300, Nagar est attestée
pour la première fois par des textes cunéiformes dans des documents retrouvés à
Ebla, une ancienne cité de
l’Amourrou en
Syrie.
Par ceux-ci, on sait que la ville était le principal point de contact entre les métropoles du Levant, dans l’Est
Anatolien et le Nord de la Mésopotamie.
Nagar fut alors l’un des plus puissants royaumes de Haute-Mésopotamie avec le royaume
Amorrite de
Mari. Les textes nous informent aussi que
la ville entretint des relations commerciales et amicales avec
Ebla. Les souverains des deux royaumes s’échangèrent plusieurs lettres et des présents.
Le Roi d’Ebla,
Ish’ar Damu (ou Iskar Damu, v.2350-2300),
donna en mariage sa fille, Tagrish-Damu, au fils du Roi de Nagar. Si on ne dispose pas de textes provenant de Nagar pour
cette période, on en a en revanche retrouvé lors de fouilles dans un petit site voisin, Tell Beydar, qui correspond à
l’ancienne ville de Nabada, capitale d’une province du royaume de Nagar.
Vestiges du temple du palais de Naram-Sin au Nord du site |
Période de la domination Akkadienne
Vers 2300, Nagar, comme beaucoup de cités,
dut faire face à la montée en puissance du royaume
d’Akkad
et aux attaques de son Roi conquérant,
Sargon.
La ville forma alors une coalition avec Mari et
Ebla, mais elles furent écrasées
par l’Akkadien.
Ce dernier se rendit maître de toute la
Syrie et de la Haute-Mésopotamie, dont la vallée du fleuve Khābūr
(ou Habur, actuel Haut- Djézireh). Il semble cependant que la ville voisine
d’Urkesh conserva une certaine forme d’indépendance.
Après la destruction de Nagar, une brève réoccupation eut lieu sous le règne du Roi
d’Akkad,
Naram-Sin (2255-2218).
Le souverain y construisit un palais sur l’emplacement du temple aux yeux. Ce palais-forteresse, de 105 m. x 92 m.,
fut un centre administratif du Nord de l’Empire d’Akkad,
il ressemblait plus à un dépôt pour le stockage d’hommages collectés et des produits agricoles, qu’à un siège résidentiel.
Il fut construit autour d’une grande cour extérieure et de quatre petites cours intérieures. Les fouilles
ont permis de mettre au jour d’autres bâtiments de cette période, dont un complexe cultuel important, de 23 m. x 8 m., avec deux
tours. Selon Lucio Milan, les textes ne créditent pas
l’Akkadien
d’un contrôle politique de la ville et la signification des documents administratifs, en écriture
Akkadienne, récupérés dans
le palais sont ouverts à l’interprétation. Il semble que dans les textes
d’Ebla soient enregistrés, pour cette époque,
des échanges commerciaux, si la ville peut être identifiée avec celle nommée "Brakigo" dans les textes.
Puis, on constate que le site de Nagar fut de nouveau détruit après cette courte
occupation
Akkadienne. Ce fut sous le règne du Roi d’Akkad
Sar-Kali-Sarri
(ou Shar-Kali-Sharri ou Sarkalisarri, 2218-2195) que l’Empire s’effondra et tomba aux mains des
Goutis.
Période de l’implantation Hourrite
Autre figurine en albâtre "Idole aux yeux" –
Musée de Deir ez-Zor (Syrie) |
Le Nord de la Mésopotamie
fut cependant livré à lui même et la région,
dans un vide politique total, connut alors une forte implantation d’un autre peuple, les
Hourrites.
Ceux-ci prirent possession de la vallée du fleuve Khābūr (ou Habur,
actuel Haut-Djézireh), qui fut le berceau de leur formidable ascension
et Nagar tomba sous la domination d’un de leurs Rois. On a retrouvé le sceau d’un souverain se proclamant Roi de Nagar au
nom de Talpush-atili, mais on ne sait pas le placer chronologiquement. Les spécialistes sont unanimes pour affirmer
qu’un royaume Hourrite semble
se former avec Nagar (ou Nawar ?) et Urkesh
(ou Urkeš, identifiée aujourd’hui avec le site de Tell Mozan) pour principales villes.
Un autre sceau retrouvé dans cette dernière
cité porte le nom d’un personnage se proclamant Roi de Nagar et
d’Urkesh au nom d’Atal-Shen (ou Atal-šen ou Atal-Sen), qui vécut
peut-être vers 2100. La région prospéra et attira la convoitise de ses puissants voisins. À peine un siècle plus tard, les
Hourrites durent faire face aux
attaques du Roi d’Ur,
Our-Nammou (ou Ur-Nammu ou Namma Ur, 2112-2095), dont le nom veut dire "Guerrier de la Déesse Nammou (ou Nammu)", qui
mena des campagnes dans la vallée du Khābūr. Par celles-ci, on connaît le nom d’un autre souverain de la région
qui l’affronta, le Roi d’Urkesh, Tish-Atal (ou Tiš-atal
ou Tis-Atal, ?).
Période de la domination Amorrite
La
période Amorrite qui suivit va de vers 2000 à
1595 av.J.C. Elle débuta par la chute de la IIIe dynastie
d’Ur
sous le règne de son Roi Ibbi-Sin (2028-2004),
qui dut dès sa prise de pouvoir lutter contre les
Hourrites.
Face à la faiblesse du pouvoir central de son Empire les cités-États reprirent leur indépendance. En 2027-2026, ce
fut la
ville d’Eshnunna sous l’impulsion de
Ilushu-Ilia (2027- ?), puis Suse,
Lagash et
Oumma. À la même époque les
Amorrites exploitèrent cette
situation, ils envahirent le Sumer, coupant les routes
entre la capitale et le reste du pays. De là, leur population connut une importante croissance. Ce fut le Nord
de Nagar qui fut occupé à cette période, après l’abandon de la partie Sud à la fin du millénaire précédent.
La cité et la riche région du Khābūr (ou Habur, actuel Haut-Djézireh) attirèrent de nouveaux les convoitises.
On sait par les textes des annales de Mari, que son Roi
Amorrite,
Yahdun-Lim (ou Yasdun-Lim ou Iahdun-Lim
ou Yakhdun-Lim, 1815-1796), après avoir soumis les villes de
Terqa et Tuttul, se tourna vers le triangle du Khābūr, au Nord, où il vassalisa le petit royaume
Hourrite constitué
autour des villes de Nagar et d’Urkesh.
Puis il se heurta au Roi d’Ekallāté
(ou Ekallatum), futur Empereur d’Assyrie,
Shamshi-Adad I (ou Samsi-Addu, 1814-1775)
qui cherchait aussi à s’y implanter. Il semble que
Yahdun-Lim soit sorti vainqueur de ce conflit.
Vestiges sur le versant Nord de la zone TW |
Quelques années plus tard, lors de nouveaux affrontement ce fut
Shamshi-Adad I qui sortit vainqueur
et Nagar dut allégeance à un nouvel Empire l’Assyrie.
Shamshi-Adad I installa sa propre
capitale à Shekhna, qu’il renomma Shubat-Enlil (Aujourd’hui le site de Tell Leilan dans la vallée du Khābūr).
La situation ne resta ainsi que très peu de temps puisque dès l’arrivée au pouvoir du Roi
de Mari
Zimri-Lin (1775-1761 / 1760), ce dernier,
à son tour, reprit les royaumes du triangle du Khābūr (ou Habur,
actuel Haut-Djézireh) et Nagar changea encore une fois de main.
Sous les Amorrites, la cité devint un centre religieux
important, mais n’apparaît pas comme une puissance politique de cette période. Elle fit partie du petit royaume de
Kahat qui est identifiée au site
de Tell Barri, sur le Ouâdi Djaghdjagh, et qui fut vassal de
Mari.
La "Dame de Naga" Bēlet Nagar, devint la divinité tutélaire de Nagar.
Elle fut très importante et sa statue effectua de nombreux voyages dans la région du Khābūr.
Nagar garda cette prédominance, qui est encore attestée dans les archives de Shubat-Enlil
(ou Shekhna ou Tell Leilan) pour la seconde moitié du
XVIIIe siècle.
En 1761/1760, sans que l’on n’en
connaisse aujourd’hui les raisons, le Roi de la dynastie
Amorrite de Babylone,
Hammourabi (ou Hammurapi
ou Hammurabi ou Hammu-rapi ou Khammurabi, 1792-1750) se retourna contre son ancien allié,
Zimri-Linn.
Il attaqua et prit Mari et en 1759, il rasa la ville
après l’avoir pillée. Zimri-Lin disparut alors
complètement, il fut le dernier Roi de Mari et son royaume
fut morcelé. Les textes de Shubat-Enlil nous informent que Nagar et la région du Khābūr
(ou Habur, actuel Haut-Djézireh) passa alors sous la suzeraineté des Rois Amorrites du
Yamkhad et de
sa capitale Alep.
La période qui suit est mal connue car, bien que les noms des Rois de cet État nous soient avérés par les archives
administratives d’Alep,
les faits historiques entourant leur règne sont mal définis.
On a la confirmation par les archives de Shubat-Enlil
qu’Alep étendit sa domination sur les Rois
Hourrites de la région du triangle
du Khābūr, dont ceux des villes de Nagar et Urkesh.
Il est possible que les royaumes proches du
Qatna et de
Karkemish aient été soumis à leur tour. Cette domination dura près d’un siècle, jusqu’en 1619, où
les
Hittites,
nouvelle grande puissance, attaquèrent le
Yamkhad.
Alep
fut prise par le Roi
Moursil I (v.1620-v.1590)
qui avait avant ravagé le pays, ce qui mit fin au grand royaume du
Yamkhad.
Moursil I se servit de
la ville comme base de lancement pour sa campagne militaire de grande envergure contre la
Mésopotamie.
Palais Mitannien sur le tell Nord (Zone HH)
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Période de l’Empire du Mitanni
Profitant du vide politique
laissé par cette attaque
Hittite, à partir de 1600/1580, tous les petits royaumes
Hourrites dans le Nord de la
Syrie,
de la Mésopotamie, dont celui
de Nagar, et ceux du pays de
Canaan,
fusionnèrent progressivement et n’en formèrent qu’un que les textes
Assyriens appelèrent :
Hanigalbat (ou Khanigalbat), et qui est attesté sous le nom de
Mitanni.
Les archives des ses Empereurs nous sont inconnues et aucune source historique de leur règne n’a été retrouvée à aujourd’hui.
Pour reconstituer l’histoire du pays, les spécialistes s’appuient sur les écrits des royaumes voisins : Les
Assyriens, les
Hittites et les
Égyptiens,
dont "les lettres d’Amarna". Le
Mitanni originel était centré
autour du triangle du fleuve Khābūr (ou Habur, actuel Haut-Djézireh). Tell Brak est l’un des sites les mieux étudiés pour cette région durant
cette période. Celle-ci est caractérisée par la "céramique de
Nuzi", peinte de motifs blancs sur fond sombre.
La période
Mitannienne
de Nagar est la plus riche sur le plan archéologique. On a mis au jour un palais
très imposant et original du point de vue architectural. Il dispose, au Sud d’une cour centrale
qui semble être une pièce de réception. Au Nord l’espace est organisé par une grande cour. Il fut aussi mis au jour des magasins,
des cuisines avec des fours, mais pas de zone résidentielle, qui devait selon les spécialistes se trouver à l’étage.
À côté du palais, se trouvait un petit temple. De cette époque ont été aussi
dégagés divers objets en faïence,
en ivoire et en albâtre, ainsi que deux tablettes juridiques rédigées en
langue Hourrite, qui datent
des règnes des Empereurs du Mitanni
d’Artashumara (v.1385-v.1380) et
Tushratta(v.1380-v.1350).
Après la chute de cet Empire sous le règne de
Shattuara II
(v.1280-v.1270), devant les forces Assyriennes de
Salmanasar I (1275-1245),
le palais semble connaître deux destructions successives. Un bâtiment fut ensuite construit par les nouveaux
occupants, pour une brève période. De la céramique datant de la période
néo-Assyrienne qui suit fut mise au jour sur le Nord-est
du tell. La cité de Nagar suivit ensuite l’histoire de la région tout en déclinant progressivement.
Les périodes suivantes ont livré peu de documentation. Le site sera réoccupé au début du Ier millénaire de notre ère par
les Romains, qui y construiront un fortin.
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