Séleucie
du Tigre (ou Séleucie sur le Tigre, en Grec :
Σελεύκεια Seleucia, en arabe :
سلوقية Seleucie ou
المدائن al-Madāʾin, en Persan :
سلوکیه, en
Araméen :
ܩܛܝܣܦܘܢ Māḥōzē) est située
aujourd’hui en Irak à 35 km. environ de Bagdad et 60 Km. au Nord de
Babylone. Ses ruines ont été identifiées à la moderne Tell Umar sur la rive Ouest du Tigre. Elle fut l’une des plus grandes cités de
Mésopotamie à la fin de l’Antiquité,
s’inscrivant dans l’histoire entre Babylone et Bagdad.
La ville fut peuplée par des Macédoniens,
des Grecs, des Syriens et des Juifs.
La cité fut explicitement désignée comme la capitale de l’Empire Séleucide : Al šarrūti
dans les sources en écriture cunéiforme "la ville de la royauté".
Vue du site – Le Tell Omar
|
L’histoire…….
Séleucie sur le Tigre, au cœur de la
Mésopotamie, fut créée par
Séleucos I Nikatôr (305-280) l’un des successeurs du grand conquérant
Macédonien
Alexandre le Grand (336-323) et le fondateur de l’Empire
Séleucide, qui en fit sa capitale.
La date exacte de sa construction n’est pas enregistrée, mais elle doit se situer après la
Guerre de Babylone (311-309) et avant 301, lorsque
Séleucos I visita
Babylone pour la dernière fois.
Certains spécialistes avancent comme date entre 311 et 306, d’autres 305 ?. La cité fut érigée en face de l’ancienne ville d’Opis, à la confluence
du Tigre et du Canal Royal, qui reliait la ville nouvelle à l’Euphrate. Du fait de sa position géographique stratégique, la principale route vers
le plateau Iranien, elle devint rapidement une très grande cité et un centre commercial incontournable, supplantant une
Babylone sur le déclin.
Buste en bronze de Séleucos I – Musée national d’archéologie – Naples |
En 301, Séleucos I,
reçut lors du deuxième partage de l’Empire d’Alexandre, la Syrie et la partie
Est de l’Asie Mineure. La possession de la
Syrie lui donna une ouverture sur la Méditerranée et immédiatement il créa la nouvelle ville d’Antioche
sur l’Oronte qui devint le siège du gouvernement. Dans le même temps il décida que Séleucie du Tigre devint la capitale des
satrapies de l’Est.
En 294, il y installa son fils Antiochos I en tant que vice-Roi. La ville
resta la résidence des différents fils de souverains qui exercèrent cette fonction jusqu’en 141.
En 222, la cité fut prise par le rebelle Molon. Selon Polybe
(Général, homme d’État et historien Grec, v.205-126 av.J.C), la ville
fut ensuite frappée d’une amende de 1.000 talents et ses magistrats, les Péliganes, furent exilés. Entre 205 et 204, depuis Séleucie du Tigre,
le Roi Antiochos III Mégas (223-187) lança une expédition dans la région du golfe Persique.
Séleucie du Tigre, avec son statut de capitale des
satrapies de l’Est, trouva une ouverture vers l’Extrême-Orient et l’occasion de mettre en place des activités commerciales particulièrement prospères.
Portrait de Démétrios II trouvé à Séleucie
|
La ville devint une étape incontournable des routes vers l’Inde, qu’elles soient maritimes, par le
Golfe Persique ou terrestres, par le plateau Iranien. Séleucie semble atteindre le sommet de sa prospérité au milieu de l’époque Hellénistique. Cette apogée se
constata dans la production céramique qui connut alors son plus haut niveau qualitatif. En Juillet 141, le Roi des
Parthes
Mithridate I (171-138), qui avait déjà pris
la Médie, conquit Séleucie du Tigre et continua de l’utiliser comme une
capitale régionale. La cité ne redevint plus jamais une possession Séleucide. Les
Parthes, nouveaux maîtres de la région, surent cependant
se faire accepter des habitants Grec de leur Empire et n’hésitèrent
pas à adopter leurs valeurs. Ils implantèrent une nouvelle ville sur la rive Est de l’Euphrate, juste en face de Séleucie,
Ctésiphon.
Cette cité fut une capitale impériale pendant plus de 800 ans, d’abord des
Parthes Arsacides puis de leurs successeurs, les
Sassanides. Malgré la présence à ses côtés de cette grande métropole,
Séleucie conserva sa prospérité sous l’Empire
Arsacide. En 57 av.J.C, les
Parthes connurent la guerre civile lors de la succession de
Phraatès III (ou Arsace XII, 70-57). Une version de l’histoire nous dit que le Roi suivant fut
Mithridate III (ou Arsace XIII, 57-54) qui serait
le premier à monter sur le trône, mais serait rapidement déposé en raison de sa cruauté.
Mithridate III s’enfuit alors en Syrie
et demanda asile au Proconsul Romain Aulus Gabinius. Il leva une armée et avança en
Mésopotamie, mais il fut battu à Séleucie du Tigre par le Général
Surena (ou Suren) au service d’un autre prétendant
Orodès II (ou Arsace XIV ou Hyrodes, 57-38 ou 54-38). Il fuit alors à
Babylone où après un long siège il fut fait prisonnier et tué en 54 par
Orodès II.
Malgré son passage dans l’Empire des Parthes,
Séleucie du Tigre resta fortement marquée par ses origines Grecques,
ce qui lui donna une place à part dans l’Empire. Pline l’Ancien (Écrivain et naturaliste Romain, 23-79) mentionne qu’à son époque, Séleucie du Tigre avait
encore quelques Macédoniens aux douanes.
Buste d’Héraclès en bronze trouvé à Séleucie |
Les autres groupes ethniques de la ville furent des
Grecs, des
Babyloniens et un grand groupe de Juifs de
Babylone qui avaient fuit vers la ville, après 35 ap.J.C.
Cependant en 41, Séleucie fut le théâtre d’un massacre d’environ 5.000 de ces réfugiés Juifs. Ces faits sont confirmés par
Flavius Josèphe (ou Titus Flavius Josephus ou Josèphe ben Mattathias,
historien Juif, 37-v.100, Antiquités juives, 18,311). Il nous rapporte que outre les descendants des colons
Grecs, la ville accueillait de nombreux habitants d’origines
diverses et donc un assez grand nombre de Juifs de la diaspora. Séleucie fut d’ailleurs nommée dans le Talmud où elle est appelée, Selik ou Selika.
L’auteur nous dit encore que finalement, Grecs,
Babyloniens et Syriens finirent par s’unir et se retourner
violemment contre les Juifs jusqu’à les massacrer en 41.
Ruine de la stoa de Séleucie |
Les deux cités, Séleucie et
Ctésiphon furent d’un enjeu déterminant et, de ce fait, souvent disputées par les Romains. Selon Dion Cassius (Historien Romain, v.155-v.235,
Histoire Romaine, 68.30.2), l’Empereur Trajan (98-117) prit Séleucie en 117 et incendia la ville, mais l’année suivante elle fut rétrocédée aux
Parthes par le successeur de Trajan, l’Empereur Hadrien
(117-138) et reconstruite dans le style Parthe. Elle redevint très vite
une très grande et très prospère cité qui fut de nouveau convoitée par les Romains.
En 164, ne voulant pas se battre contre eux la cité ouvrit ses portes aux troupes du Général Romain Cassius Avidius. Cette bonne entente
ne dura pas et la ville fut pillée par les soldats Romains qui en auraient ramené la peste selon les sources antiques. En 164, le rapide retrait d’Avidius
Cassius, est souvent expliqué par l’épidémie. Ce pillage n’empêcha pas la Séleucie de frapper monnaie dès 166 ce qui prouve la rapidité à tenter à se
relever de cette attaque. Selon Hérodien (Historien Romain, 175-249, Histoire de l’Empire Romain, 3.9) l’Empereur Septime Sévère (193-211) prit la
cité à l’hiver de 198/199. Cependant, selon Dion Cassius (Historien Romain, v.155-v.235), les armées Romaines auraient trouvé la cité abandonnée.
Il s’agit surement là d’une exagération de l’historien, mais il n’en est pas moins certain que la ville avait souffert en 166 et que son déclin
s’accélérait. Au IIIe siècle ap.J.C, Séleucie semble avoir déclinée définitivement sous la dynastie
Sassanide.
Statuette en argile d’une femme nue – Séleucie |
Petite amphore – Séleucie |
Surtout après la fondation, vers 230/240 par le Roi
Ardachêr I (ou Ardashir Babigan, 224-241),
le fondateur de la dynastie Sassanide, de la ville toute proche de
Veh-Ardašir (ou Coche ou Koké, "la bonne ville de Ardašir"). Les ruines de cette ville voisine concurrente ont
longtemps été confondues avec celles de Ctésiphon.
Séleucie n’eut plus le même rôle, cependant lorsque l’Empereur Romain Carus (Marcus Aurelius Carus, 282-283) la prit avec
Ctésiphon en 283, ce fut encore une victoire importante
(Historia Augusta, Lives de Carus, Carinus et Numerian, Carus, 8).
Il y eut beaucoup d’églises Chrétiennes en
Mésopotamie et ce depuis le premier siècle et au cours du IIIe et IVe siècle Séleucie devint un centre important de la religion. Après l’édit de
tolérance décidé par le Roi Sassanide
Yazdgard I Ulathim "Le pêcheur" (ou
Yazdegerd ou Izdekerti, 399-420) qui mettait un terme, pour le moment, à la persécution des Chrétiens, Séleucie fut le siège du renforcement de
l’église. Au Ve siècle, elle fut un important centre du Christianisme Nestorien, cet enseignement y fut défini au cours du conseil des ecclésiastiques de 468.
Avec la conquête arabe, la proximité de Séleucie, de
Ctésiphon et de Veh-Ardašir "la nouvelle Séleucie" et peut-être d’autres établissements urbains comme Vologèsias, accélérèrent leur déclin.
Désertée petit à petit, ces villes s’évanouirent dans l’histoire pour finalement être avalé par les sables du désert. Elles furent peut-être aussi abandonnées
après que le Tigre eut changé son cours. Leur identification exacte fut rapidement oubliée après leur abandon. Aussi cette zone marquée par de nombreuses
ruines fut-elle appelée par la suite al-Madāʾin par les populations arabophones.
Séleucie du Tigre aura été au cour de son histoire un centre important de la civilisation
Grecque. Ce rayonnement s’exprimait vraisemblablement dans bien des
domaines et la cité semble avoir été un centre intellectuel important comme en témoigne
Strabon (Géographe
Grec, v.63 av.J.C-v.23 ap.J.C), qui mentionne un astronome nommé
Séleucos et ajoute qu’il étudia, dans la tradition Babylonienne,
la science des étoiles (un "Chaldéen", Géographie, 16.1.6).
Il mentionne également un philosophe nommé Diogène (16.1.16).
Statuette représentant Héraclès – Séleucie |
Plat à poisson trouvé derrière la stoa – Séleucie |
Selon Plutarque
(Philosophe, biographe et moraliste
Grec, 46-v.125), le rhéteur Athénien
Amphicratès (Ier siècle ap.J.C.), cru qu’il pouvait trouver une bonne position à Séleucie du Tigre, suite à un emploi qu’on lui offrait,
mais en fin de compte il refusa, comparant la ville à une cocotte (Lucullus, 22,5). C’est peut-être une référence au climat. Enfin, par sa population
Séleucie comptait aussi parmi les plus grandes villes du monde antique. À l’époque de
Strabon, au début de l’ère Chrétienne, sa puissance et sa population étaient
comparables à celles d’Alexandrie
et supérieures à celles d’Antioche.
Le site
Le
site de Séleucie du Tigre fut redécouvert dans les années 1920 par des archéologues qui recherchaient Opis. À partir de 1927, les professeurs Leroy
Waterman (1927-1932) avec Robert H.Mc Dowell en 1930-31 et Clark Hopkins (1936-1937) toujours avec Robert H.Mc Dowell, de l’Université du Michigan
ont supervisé les fouilles pour le Kelsey Museum of Archaeology, au nom de l’American School of Oriental Research de Bagdad avec l’aide de fonds fournis
par le Musée de Tolède et le Cleveland Museum of Art.
En raison des conflits dans cette région depuis des décennies le site à très peu été étudié.
De 1964 à 1989 une mission Italienne de l’Université de Turin a tenté des fouilles. Ils ont trouvé un bâtiment
Séleucide d’archives avec environ 15.000 sceaux, le tout dans un style
Grec. Les fouilles ont montré que la ville fut construite
selon un plan quadrillé. Comme il s’agit d’une ville Séleucide, elle
possédait, comme à l’habitude pour celles-ci, une rue principale toute droite, qui était décorée avec des colonnades.
L’équipe de fouille 1927-1932
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Autre vue du Tell Umar |
Pline l’Ancien (Écrivain et naturaliste Romain, 23-79) compare le plan de l’enceinte de Séleucie du Tigre "à
un aigle étalant ses ailes" (Histoire Naturelle, 6,122). Un canal séparait la résidence officielle du Roi des habitations où les gens ont été, selon une
coutume Babylonienne,
enterrés dans leur maison. La cité possédait aussi un théâtre et une place de marché, mais qui n’ont pas encore été identifiés à ce jour.
Selon Pline, la ville avait 600.000 habitants et était géré par un sénat de 300 personnes, ce qui pour certains spécialistes
est exagéré, alors que pour d’autres cela parait tout à fait possible du fait de la proximité de
Babylone et de ses terres fertiles qui pouvaient largement
subvenir aux besoins d’une telle population. De nos jours, Bagdad a près d’un million d’habitants qui sont alimentés de la même manière et en utilisant
la même technologie.
Bibliographie
Pour
d’autres détails sur la ville voir les ouvrages de :
Neilson Carel Debevoise :
– Parthian pottery from Seleucia on the Tigris, University of Michigan Press, Ann Arbor, 1934.
Clark Hopkins :
– A stele from Seleucia on the Tigris, Bayreuth : Imp. Cath., 1961.
– Topography and architecture of Seleucia on the Tigris, The Univerdity of Michigan, Ann Arbor, 1972.
Antonio Invernizzi :
– Seleucia al Tigri : Le impronte di sigillo dagli archivi, Edizioni dell’Orso, Alessandria, 2004.
Georges Le Rider :
– Séleucie du tigre : Les monnaies Séleucides et Parthes, Le Lettere, Florence, 1998.
Robert Harbold McDowell :
– Coins from Seleucia on the Tigris, University of Michigan Press, Ann Arbor, 1935.
– Stamped and inscribed objects from Seleucia on the Tigris, University of Michigan Press, Ann Arbor, 1935.
Vito Messina, Paolo Mollo, Ariela Bollati et Antonio Invernizzi :
– Seleucia al Tigri, Missione in Iraq 2, impr. Edizioni dell’Orso, Alessandria, 2004.
Vito Messina et Antonio Invernizzi :
– Seleucia al Tigri, Missione in Iraq 3, Centro ricerche archeologiche e scavi di Torino per il Medio Oriente e l’Asia,
Le Lettere, Florence, 2006.
Elizabeth Savage :
– Seleucia on the Tigris an exhibition of the excavations at Seleucia, Iraq by the University of Michigan ; 1927-32, 1936-7,
Kelsey Museum of Ancient and Medieval Archaeology, Ann Arbor Kelsey Museum of Archaeology, 1977.
Maximilian Streck :
– Seleucia und Ktesiphon, J.C. Hinrichs, Leipzig, 1917.
Leroy Waterman :
– Preliminary report upon the excavations at Tel Umar, Iraq,
University of Michigan, Toledo Museum of Art, Cleveland Museum of Art, University of Michigan Press, Ann Arbor, 1931.
Józef Wolski :
– L’Empire des Arsacides, Aedibus Peeters, Lovanii, 1993.
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