La ville, noms, localisation
Naucratis (ou Naukratis, en
Grec : Ναύκρατις
"la ville qui a le pouvoir sur les navires", en arabe :
ناوكراتيس Naukratis, en Égyptien : Djékhaper),
est une ville du Delta sur la branche Canopique du Nil, proche de
Saïs, à 72 km au Sud-est d’Alexandrie.
Elle est identifiée aujourd’hui au site de Kôm Gaef (ou Kom Gieif ou El-Gaïef).
Elle fut la principale cité du 4e nome de
Basse-Égypte, le nome "inférieur de Neith" ou
"la cible du Sud" (nt rsw).
Elle fut fondée vers 650/630 par des négociants
Grecs et ce fut à partir de cette date et jusqu’à l’avènement des
Lagides (305-30) le seul port ouvert en Égypte aux commerçants
Grecs,
agissant en tant que lien symbiotique pour l’échange de l’art et la culture entre
Grecs et Égyptiens.
Ce fut par Naucratis que les
Grecs achetaient du blé à l’Égypte,
des papyri et du lin en échange ils vendaient au Égyptiens des céramiques, de l’huile, de l’argent et du vin que la noblesse
Égyptienne prisait. La cité fut également connue pour sa production de fer. À Naucratis il y avait un quartier Égyptien
nettement séparé du quartier
Grec et les mariages entre
Grecs et Égyptiennes étaient interdits, alors que dans le reste du pays, les mercenaires
Grecs avaient le droit de se marier
avec des Égyptiennes. La ville était consacrée à
Horus, mais fut aussi un centre de culte des divinités
Neith,
Amon et
Thot.
La cité s’étendait à proximité des temples
Grecs et d’une vaste enceinte qui
abritait des temples Égyptiens dédiés à
Amon et
Thot.
Psammétique I – Musée du Louvre |
L’histoire….
Les
Grecs furent présents en Égypte bien avant la conquête du Roi de
Macédoine,
Alexandre le Grand (336-323).
Des preuves archéologiques suggèrent que l’histoire des anciens
Grecs dans le pays remonte au moins à
la période
Mycénienne (v.1450-v.1200) et peut-être même encore plus loin à la période
Minoenne (v.2200-v.1450). Ceci dit, il ne
s’agit pas là encore d’installations des
Grecs, mais strictement une question de commerce, aucune habitation permanente
Grecque n’a été trouvée à ce jour
datant de ces périodes. Après l’effondrement de la civilisation
Mycénienne et l’a période dite
"Âges
sombres" qui suivit (v.1200-v.700), une renaissance florissante de la culture
Grecque débuta et avec elle les
Grecs renouèrent des contacts avec
l’Orient et ses deux civilisations des grands fleuves, la
Mésopotamie et l’Égypte.
Coupe en céramique Grecque provenant de Naucratis –
v.550 av.J.C – British Museum |
On sait que
Mytilène, fondée par les Éoliens venus de
Thessalie et de Béotie, participa de manière importante à la colonisation
Grecque, en particulier vers la Troade,
l’Hellespont, la Thrace et elle verra également
une partie de sa population s’installer à Naucratis. D’après
Hérodote (Historien
Grec, v.484-v.425) dans ses
"Histoires", ces premiers nouveaux contacts entre Égyptiens et
Grecs se seraient faits au VIIe siècle,
suite à une tempête qui aurait forcé des pirates
Ioniens et
Cariens à accoster à proximité du Delta du Nil ?.
En fait ce fut à partir de la
période Saïte
de la XXVIe dynastie (664-525) que de
nombreux Grecs s’installèrent
dans le pays. Ils furent d’abords mercenaires, commandant de l’armée, puis commerçants. Pour augmenter leur pouvoir
les Rois de cette dynastie s’appuyèrent sur ces mercenaires et négociants, leur accordant, malgré l’hostilité du peuple
Égyptien, une situation privilégiée. Ils allèrent même jusqu’à leur céder la ville de Naucratis.
Ce fut plus précisément sous le règne du Pharaon
Psammétique I (664-610,
XXVIe dynastie) que l’hellénisation du pays
commença vraiment avec d’abord l’installation à Daphné de mercenaires
Ioniens et
Cariens
et la fondation de la colonie Grecque qui s’installera à Naucratis. On retrouve les vestiges de cette cité dans
la région des lacs, à proximité des villages de : Kom Gieif (ou El-Gaïef), d’El-Nibeira et de Kôm Niqrach, sur la
branche Canopique du Nil.
Psammétique I était en lutte contre les
Assyriens qu’il voulait chasser du pays. Pour se faire il lui fallait une armée importante et forte, il fit donc appel
aux mercenaires Grecs.
Le Roi de Lydie
Gygès (687-652 ou 685-644)
qui contrôlait une bonne partie de l’
Asie Mineure et en particulier les citées
Grecques du littoral, se tourna alors vers l’Égypte et s’associa avec
Psammétique I. Il l’aida à recruter des
mercenaires Ioniens
et
Cariens pour chasser les
Assyriens du Delta. Ces mercenaires
participèrent à la reprise de
Memphis en 656.
Apriès – Musée du Louvre |
La paix revenue
Psammétique I leur offrit des récompenses en échange
de leur loyauté dans sa campagne de reprise du pouvoir, il leur donna aussi deux grandes parcelles de terre,
"camps" (στρατόπεδα) de chaque côté de la branche
pélusiaque (ou pélusienne) du Nil. Malgré l’antipathie des Égyptiens envers eux, les mercenaires et
leur famille s’installèrent et fondèrent une colonie. Quelques années plus tard, en 570, le Pharaon
Apriès (589-570) lança une expédition
vers l’Ouest pour aider les tribus Libyennes contre les
Grecs de Cyrène. Dans cette
campagne il envoya une armée exclusivement Égyptienne et laissa ses mercenaires
Grecs au repos. L’armée Égyptienne
fut massacrée par les Grecs de Cyrène.
Apriès fut accusé d’avoir favorisé les mercenaires
et des troubles se produisirent qui dégénérèrent en guerre civile, entre les forces nationalistes et les mercenaires
Grecs et
Cariens.
Coupe en céramique Grecque –
Peintre de Naucratis – v.560 av.J.C – Musée du Louvre |
Apriès envoya son général, le futur Pharaon,
Amasis (570-526)
pour soutenir la révolte, mais Amasis renversa les rôles et se proclama Roi.
Apriès fut obligé de s’exiler. En
dépit des années de conflit avec
Babylone, il s’allia avec la cité et retourne en Égypte avec l’armée
Babylonienne
combattre son ex armée de mercenaires, composée de 30.000
Ioniens
et
Cariens pour essayer
de reprendre son trône. Malheureusement, son armée fut défaite et il fut tué dans la bataille, près de Terrana.
Plusieurs versions existent sur la mort
d’Apriès, toutes arguant le fait qu’il aurait été assassiné: Étranglé par la foule, tué dans la bataille par un soldat
d’Amasis etc… Le nouveau Pharaon décida alors de fermer les
"camps", mais il ne fut pas hostile aux
Grecs, loin de là. Il se tourna
volontairement vers leurs puissantes cités. Il passa alliance avec Cyrène, dont il épousa une des filles du Roi Battos
II l’heureux (574-560).
Il fit des cadeaux à
Delphes, 1.000 talents pour l’aider à la reconstruction du temple qui fut brûlé, et
à Samos.
Afin de ne pas s’attirer des problèmes avec le peuple il lui fallut résoudre le problème des colonies
d’Ioniens et
Cariens.
Le Roi décida alors de concentrer ces derniers dans la ville de Naucratis, peuplée jusque là par des indigènes et quelques
Phéniciens et il
leur accorda des privilèges économiques et commerciaux importants.
Amasis – Ägyptisches Museum – Berlin |
Il fit cela très probablement comme un moyen de contenir ces
Grecs et concentrer leurs activités
dans un lieu sous son contrôle. Dans la ville il y avait un quartier Égyptien nettement séparé du quartier
Grec. Le Pharaon
reconnut à la cité le statut de comptoir autonome doté de ses propres lieux de culte et il transféra à
Memphis les colons militaires
Ioniens où, selon
Hérodote, ils furent employés
plus ou moins comme espion pour surveiller les Égyptiens. Naucratis prospérera très vite, grâce à sa situation
géographique à proximité de la capitale Saïs,
mais aussi parce qu’il lui était facile de contrôler les allées et venues des navires
Grecs
qui franchissaient la barre du côté de l’actuelle Rosette (ou Rachîd).
Stèle en granit noir de Naucratis de Nectanebo I |
Ce fut en effet par Naucratis que les
Grecs achetaient à l’Égypte, du blé,
du lin, des papyri, en échange ils leur vendaient, des céramiques, de l’huile, de l’argent et du vin… Durant l’époque
Saïte, ce fut le plus vaste port Égyptien libre d’accès aux étrangers.
Selon Hérodote, le sanctuaire fortifiée
de la ville connu sous le nom Hellenion était en fait une entreprise coopérative financée par neuf villes
Grecques
d’Asie Mineure. Quatre
Ioniennes :
Chios,
Clazomènes,
Phocée et
Téos, quatre Doriennes :
Cnide,
Halicarnasse,
Phaselis et
Rhodes et une Eolienne :
Mytilène.
Cette grande prospérité attirera naturellement les convoitises, en premier celle des Pharaons qui y verront là le moyen
de remplir les caisses de l’État par le truchement des impôts. Un de ceux qui en profita le plus fut
Nectanébo I (380-362,
XXXe dynastie).
Lors de sa réorganisation du pays, peu de temps après son arrivée au pouvoir en 380, il édicta de nouvelles
lois par l’intermédiaire de décrets qui furent inscrits sur des stèles en granit, placées dans toutes les grandes cités du pays.
Par un de ceux-ci, afin de s’assurer le soutien politique des Prêtres, il attribua au temple de
Neith à
Saïs un dixième de la dîme que collectait le comptoir
Grec de Naucratis.
Ce "décret de Naucratis" en fixait les taxes que chaque marchand étranger qui empruntait
la branche Canopique du Nil, devait verser à la ville, ainsi que celles sur les produits fabriqués dans Naucratis.
Nectanébo I – Musée du Louvre |
Assujettie à ce nouvel impôt la cité versa des sommes considérables
au trésor pharaonique et à celui des Prêtres de Saïs.
La stèle de Naucratis, découverte en 1899 dans la cité même, nous confirme
comment cet argent fut récolté et affecté au temple de
Neith. Naucratis ne fut pas trop affectée lors de la nouvelle invasion
Perse qui suivit, même si le commerce, notamment
avec les cités Grecques
d’Asie Mineure, n’était plus aussi
important. Avec la libération du pays par le Roi de
Macédoine,
Alexandre le
Grand (336-323) Naucratis reçut le statut de cité
Grecque.
Sous le règne des Ptolémée (305-30) qui suivit
le régime dans le pays resta la prolongation des
Perses, avec des implantations de gouverneurs militaires, les affaires civiles étant laissées
aux Nomarques Égyptiens sous la supervision d’un
Grec d’Égypte, Cléomène de Naucratis.
Ptolémée II Philadelphe (282-246) eut une activité de bâtisseur importante notamment à
Alexandrie, mais aussi à Naucratis.
Cependant, la fondation d’Alexandrie, qui influait sur
l’importance commerciale de Naucratis, et le déplacement du Nil, amorcèrent le déclin de cette dernière qui sombra rapidement dans
l’oubli. Naucratis fut le lieu de naissance, au VIe siècle, du potier Amasis (Au même nom que le Pharaon), qui fut célèbre jusqu’à
Athènes pour ses œuvres de poterie et de peinture
à figures noires, typique de l’art Attique.
La légende de Rhodopis de Naucratis
Hérodote nous dit que les prostituées de Naucratis étaient
particulièrement séduisantes et il nous raconte l’histoire de Charaxos (ou Charaxus), frère du poète
Sappho, qui voyagea à
Naucratis comme marchand. Une de ces magnifiques courtisanes au nom de Rhodopis "les joues roses",
(on trouve aussi Doricha), était la propriété de Xanthès, un Samien qui l’avait
emmenée à Naucratis pendant le règne d’Amasis (570-526) où elle continuait de travailler comme hétaïre
au profit de son maître. Charaxos rencontra ainsi la jeune femme, il en tomba amoureux et la libéra de son état
d’esclavage contre une grosse somme d’argent.
Sappho écrira plus
tard un poème où il accuse Rhodopis d’avoir volé Charaxos de ses biens. Après avoir obtenu sa liberté, Rhodopis resta à
Naucratis et créa une maison close dont elle devint la "patronne". Son entreprise fut très florissante et la
jeune femme amassa une fortune.
Peut-être par mesure de grâce, elle commanda des offrandes votives pour le temple de
Delphes, sous forme d’une dizaine de
flèches de fer, consacrées en son nom et qui pouvaient être vu encore à l’époque de l’historien. Une histoire
Grecque raconta qu’elle était tellement
riche qu’elle construisit une pyramide. Hérodote prit
grand soin de montrer l’absurdité de l’histoire, mais elle resta quand même bien encrée et elle fut relayée par Pline l’Ancien
(Écrivain et naturaliste Romain, 23-79 ap.J.C) qui la présenta comme un fait incontesté. L’origine de ce conte, qui
est sans doute faux, est expliqué avec une grande probabilité par Christian Charles Josias Bunsen (Savant et diplomate Allemand,
1791-1860) qui nous dit qu’il se confondrait avec une des nombreuses légendes qui entourent la Reine
Nitocris (2151-2150) racontées par Julius Africanus
(Julius l’Africain, IIIe siècle) et Eusèbe de
Césarée (ou Eusebius
de Cesarea ou Eusèbe Pamphile de Césarée, Prélat
Grec, écrivain, théologien et apologète
Chrétien, v.265-v.340).
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